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Installation
Où sont les femmes ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le métier d’agriculteur ne se féminise pas. La présence des femmes dans les fermes stagne depuis vingt ans, autour d’un quart des effectifs de chefs d’exploitation.

En lycée généraliste, les jeunes femmes ont moins d’informations concernant les métiers agricoles.
En lycée généraliste, les jeunes femmes ont moins d’informations concernant les métiers agricoles.
© © S.Chatenet

À regarder les chiffres de loin, on pourrait croire que le métier d’agriculteur se féminise à grand pas, et que la parité est en vue dans la Ferme France. Comme le soulignait l’an dernier une infographie du ministère de l’Agriculture, la part des femmes parmi les chefs d’exploitation n’était que de 8 % en 1970. Or elles sont aujourd’hui 26% selon les chiffres de la MSA de 2021. À en croire ces statistiques, la part des femmes agricultrices aurait triplé en un demi-siècle. Mais les statistiques peuvent être trompeuses. Attention à ne pas se donner «l’illusion d’un progrès », prévient le sociologue Valéry Raplus, de l’université de Toulouse. D’abord parce que les statistiques anciennes reflètent mal la place des femmes dans les fermes ; en 1970, beaucoup d’agricultrices exerçaient alors le métier sans en avoir le statut. Quant aux statistiques les plus récentes, elles livrent des tendances souvent contradictoires. Seule certitude, la part des femmes stagne depuis 2000, autour d’un quart des effectifs. Les derniers chiffres de l’installation n’annoncent pas de changement. Certes, environ 39% des installés sont des femmes en 2021, selon la MSA. C’est mieux (12 points de plus) que chez les agriculteurs en place. Cela pourrait laisser espérer une évolution positive dans les prochaines années. En fait, ces deux chiffres sont stables depuis longtemps. Leur écart persistant souligne simplement que les femmes s’installent plus tard que les hommes, dont une partie non négligeable au moment du départ à la retraite de leur conjoint agriculteur.
En somme, contrairement aux apparences, les statistiques agricoles ne nous annoncent pas la parité pour demain. La place des femmes reste minoritaire et stable dans les cours de ferme. Pourtant, une réelle mixité existe déjà dans les établissements de l’enseignement agricole. À la rentrée 2022, les filles représentaient 44 % des étudiants. Comment expliquer cette déperdition entre les bancs de l’école et les sièges des tracteurs ? En pleine concertation autour de la loi d’orientation et d’avenir (LOA), Agra presse a interrogé sociologues et syndicats.

La fin de l’agriculture de couple
D’après les experts interrogés, la stagnation de la parité apparaît comme la résultante de deux phénomènes concomitants : d’une part le délitement massif et rapide de l’agriculture dite « de couple », qui rend l’installation des conjoints d’exploitants – le plus souvent des femmes – moins systématique. Et d’autre part, une progression trop lente des mentalités, qui tarde à lever les barrières à l’entrée des femmes – de plus souvent indépendantes – dans le secteur.
Les chiffres de l’effacement de l’agriculture de couple sont édifiants : en 1982, près de 60 % des hommes agriculteurs avaient une conjointe agricultrice ; cette proportion est tombée à 19 % en 2019. Pour l’Insee, c’est un facteur majeur : « Le recul de la part des femmes au sein des personnes ayant un emploi principal d’agriculteur s’explique en premier lieu par le fait qu’il y a de moins en moins de conjointes d’agriculteurs qui sont elles aussi agricultrices ». Inhérente à l’agriculture de couple, la parité est de moins en moins la règle. Plus indépendants, hommes et femmes peuvent désormais se faire concurrence. « La génération de la Révolution silencieuse avait un projet de modernisation et de libération du patriarcat, par la célébration du couple sur l’exploitation. Aujourd’hui nous sommes dans une autre phase », résumait récemment, le sociologue Bertrand Hervieu. Et dans ce nouveau monde, les jeunes femmes font face à de nombreuses barrières concrètes. Le groupe écologiste du conseil régional d’Île-de-France en a proposé une liste, pêle-mêle : « Tendance à la relégation vers les tâches traditionnellement dévolues aux épouses d’agriculteurs, violences sexistes et sexuelles accrues, discriminations genrées au démarrage d’une activité, plus difficile articulation entre les espaces professionnel et privé ou encore inadaptation des aides à l’installation. »

De nombreuses barrières
La plupart de ces barrières sont d’ordre sociologique. « Dans l’imaginaire, le “bon agriculteur” se conjugue au masculin, résume la docteure en science politique Clémentine Comer. Endurance physique, amplitude de travail très larges, autochtonie, goût pour la mécanique, etc. : des stéréotypes entourent le métier. » En cause également, une appréciation inégalitaire des projets d’installation, selon elle. « Les femmes peuvent être victimes d’un sexisme bienveillant, lié à la peur de les voir échouer». Le phénomène concerne tout à la fois les «hors cadre familial» et les filles de familles agricoles. En 2020, seulement 5 % des filles d’agriculteurs sont devenues agricultrices. En élevage allaitant, le problème est d’ailleurs identifié. La Confédération nationale de l’élevage (CNE) vient de publier un livre blanc sur le renouvellement des actifs en système bovin, ovin, caprin. Une de ses propositions vise à
« rendre le métier plus attractif pour les jeunes femmes ». « La forte mobilité sociale doit beaucoup à l’élevage, notamment laitier, explique Christophe Perrot, de l’Institut de l’élevage (Idele). De nombreuses mères agricultrices ont voulu sortir leurs filles du métier, à cause des astreintes (traite, élevage de veaux, transformation fromagère), et par manque de reconnaissance. »

Des difficultés cumulées
Malgré ces approches générales, les statistiques manquent pour éclairer précisément la situation. Comme le souligne un rapport d’Oxfam en mars dernier, « il existe très peu de données genrées qui permettaient d’orienter les politiques agricoles vers plus d’égalité». Quelques études existent. En Bretagne, la chambre d’agriculture s’est interrogée sur les freins à l’installation pour les deux sexes, en interrogeant 500 personnes passées par son Point accueil installation. Résultat : « hommes et femmes rencontrent les mêmes types de difficultés d’installation, qui s’accumulent côté femmes, avec aussi des discriminations liées au genre », détaille Marie-Christine Le Crubière, élue et présidente du groupe de travail Egalité Parité.
Les femmes mettent davantage en cause leur manque de compétence, la gestion de la vie familiale. Pour aller plus loin, il faut se fier aux témoignages de terrain. Ils rendent compte de préjugés qui apparaîtraient dès l’enseignement. « Les femmes subissent, à partir de l’orientation, des discours genrés», rapporte Laurence Marandola. En lycée généraliste, elles ont moins d’informations concernant les métiers agricoles, d’après la syndicaliste. Leur entourage, des conseillers les orientent plutôt vers l’élevage de chevaux, le maraîchage, les plantes aromatiques et médicinales. Dans l’enseignement agricole, certains exercices ou stages sont plus difficilement accessibles, d’après elle, quand cela concerne du gros matériel, des exploitations bovines ou très mécanisées. Une fois diplômée, une femme aura aussi plus de mal à trouver une ferme à reprendre.
« Des cédants n’ont pas envie de voir une femme visiter », relève la chargée de mission installation transmission Marie-Isabelle Le Bars. À ce titre, la chambre d’agriculture de Bretagne pointe l’intérêt d’une personnalisation de l’accompagnement des porteurs de projets. Et d’une sensibilisation, des cédants, des banques, sur la diversité des profils, en termes de genre, couple, parentalité, compétence.
Projets plus souvent atypiques
Pour ajouter à ces barrières, les femmes sortiraient plus souvent des sentiers battus dans leurs projets d’installation, ce qui refroidirait les structures d’accompagnement. « Leur projet est jugé moins crédible, car il repose plus souvent sur des petites surfaces, des activités de vente directe, transformation, qui s’écartent du modèle dominant», explique la docteure en science politique Clémentine Comer. En moyenne, les exploitations dirigées par des femmes ont une SAU inférieure de 28 %, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture en 2019.
Ainsi, en pénalisant les femmes, la ferme France se prive notamment d’un moteur de changement, résume la sociologue Clotilde Lemarchant, professeure à l’université de Lille : « C’est assez paradoxal : les femmes sont vues comme porteuses de changement dans l’agriculture (diversification de l’activité, vente directe...), mais elles subissent des freins venant de la profession, des banques ».
 

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